Entre le boeuf et l'âne gris...
Seuls les Evangélistes Luc et Matthieu nous évoquent, mais sans aucun détail, la naissance du Christ.
Il faut consulter le Pseudo-Matthieu pour lire que « Joseph sella son âne et y fit asseoir Marie » et le Pseudo-Jacques (Historia de Nativitate et Infantia Salvatoris) pour apprendre que « le troisième jour après la naissance du Seigneur, Marie sortit de la grotte, entra dans une étable et déposa l’enfant dans la crèche. Le bœuf et l’âne l’adorèrent. »
La présence de ces deux animaux : bœuf et âne dans la scène de la Nativité est donc établie par des évangiles apocryphes (à l’authenticité douteuse) datés entre le IIè et le VIè siècle.
ARLES, Cloître St-Trophime (XIIè-XIVè s.)
Mais pourquoi le bœuf et l’âne ?
L’explication la plus simple est que Jésus nouveau-né a été installé dans une étable ; il est normal que s’y trouve, avant tout le monde, un bœuf. D’autres pensent que Joseph aurait pu, comme c’est la coutume chez les pauvres gens, emmener avec lui un bœuf qu’il pouvait revendre en cas de besoin d’argent.
Quant à la présence de l’âne, elle semble, elle aussi, évidente : Marie enceinte est trop fatiguée pour marcher et se déplaçait à dos d’âne, un âne qu’elle a bien sûr gardé après la naissance.
Une scène aussi importante de la religion chrétienne ne peut se satisfaire d’explications aussi terre-à-terre. On va donc faire appel, pour justifier la présence des deux animaux, aux prophètes. Isaïe (I, 3) dit : « Le bœuf a reconnu son bouvier et l’âne la mangeoire de son maître. Et ainsi s’accomplit ce qui avait été annoncé par le prophète Habaquq (III, 2) qui avait dit « Je te ferai connaître au milieu de deux animaux ».
L’analogie est facile : le bœuf porte le joug comme les Juifs portent la Loi. Comme le bœuf attelé devient un animal utile qui collabore avec son maître, ainsi les Juifs, au moyen de la Loi, vivent dans la droiture et collaborent avec le Seigneur. L’âne est chargé et porte son fardeau de même que les peuples qui n’ont pas connu la révélation gémissent sous le poids de l’idolâtrerie et de ses lois pesantes. L’âne et le bœuf représentent donc toute l’humanité.
Cherchons à présent du côté de la symbolique liée à ses animaux.
Le bœuf représente le serviteur patient et la force pacifique. Ami du paysan et source de prospérité, il reçoit l’honneur d’être sacrifié dans de nombreuses religions.
L’image, certes ambivalente, de l’âne est davantage négative : stupidité, entêtement,… Mais souvenons-nous aussi de son humilité, de sa patience et de son courage.
Dans les Métamorphoses d’Apulée, Lucius, avide de plaisirs est transformé en âne, image des instincts bas que l’intellect doit dominer et dont l’esprit doit se détacher parfois au prix de l’initiation (Isis).
Donc, en adorant l’enfant Jésus, l’âne (la matière, les instincts bas) et le bœuf (l’idolâtrerie) se soumettent à la spiritualité et en reconnaissent la supériorité.
Que penser alors de l’âne alchimique ? Celui de Peau d’âne. Celui des alchimistes qui l’associent à Saturne dont dépend le plomb (le plus vil des métaux). Ce lien à Saturne, souverain de l’Age d’or pourrait expliquer que l’âne produise de l’or et les Saturnales, fêtes en l’honneur du dieu Saturne, nous amènent à Noël.
La tendresse franciscaine ajoutera à l’adoration un geste humble : l’âne et le bœuf réchauffent le nouveau-né de leur souffle.
D’après : F. Vandervennet, Le bœuf et l’âne… Que sont-ils venus faire dans cette histoire ?, in Ex Oriente Lux, 88, décembre 2007.